Les RH ne sont pas thérapeutes. Et ce n’est pas leur rôle.
- Joanna Haouzi
- 2 juil.
- 4 min de lecture

Enquête sur un glissement silencieux des fonctions RH face à la montée des troubles psychiques au travail.
Dans les entreprises, ils sont souvent les premiers visages que l’on croise en cas de difficulté.Ils sont chargés de veiller à l'équilibre des équipes, de faire appliquer les politiques internes, de désamorcer les tensions, parfois de recueillir la parole. Les responsables RH, ou du moins ceux qui occupent des fonctions apparentées, sont devenus des figures de confiance… et parfois de projection.
Depuis plusieurs années, une confusion s’est installée : à mesure que la santé mentale est sortie de la sphère privée pour entrer dans les préoccupations professionnelles, c’est vers les RH que l’on se tourne — pour parler, pour se soulager, pour demander de l’aide. Mais ce rôle, attendu, va-t-il de soi ? Et surtout : est-il tenable ?
Une place centrale… mais ambivalente
« On ne sait plus très bien ce que l’on attend de nous », confie une responsable RH d’un groupe agroalimentaire. « Parfois, on nous demande d’intervenir comme médiateur dans des conflits personnels, d’autres fois on attend qu’on repère des signaux faibles de détresse psychologique… mais sans nous donner ni cadre, ni outils ».
Son cas est loin d’être isolé.À en croire plusieurs études récentes, les RH sont aujourd’hui au croisement d’injonctions contradictoires : garants de la performance d’un système, ils sont aussi sollicités comme figures d’écoute, de prévention, voire d’intervention en cas de mal-être aigu. Un écart qui interroge.
De l’écoute à la prise en charge : une ligne floue
Dans les textes, le rôle des RH est clair.Ils ont pour mission de garantir des conditions de travail conformes à la réglementation, de prévenir les risques psychosociaux (RPS), de coordonner les dispositifs QVT. Ils peuvent — et doivent — être formés à l’écoute active, à la détection de certains signaux d’alerte, et à l’orientation vers les bons interlocuteurs.
Mais ils ne sont pas — ni légalement, ni déontologiquement — des professionnels de santé mentale.
« On commence à voir apparaître des RH en burn-out, eux-mêmes pris dans des boucles d’épuisement liées au fait qu’ils entendent tout… sans pouvoir traiter ce qui leur est confié », observe un psychologue du travail, régulièrement missionné dans des entreprises de taille intermédiaire. « Ce n’est pas leur rôle de contenir des paroles thérapeutiques. Et pourtant, c’est ce qui se passe ».
Le risque, selon lui, n’est pas seulement individuel. Il est systémique : « Une entreprise qui délègue la gestion de la souffrance à ses RH sans filet, c’est une organisation qui déplace le problème. Elle ne le résout pas ».
Des collaborateurs en attente… et des RH en tension
Cette dérive n’est pas seulement due à un excès de zèle. Elle est aussi alimentée par une attente croissante des salariés.En l’absence de repères clairs, le service RH devient parfois le seul espace disponible pour verbaliser une détresse. Surtout dans les structures où les lignes d’écoute sont peu connues, mal utilisées, ou considérées comme déshumanisantes.
Résultat : des RH de bonne volonté, mais débordés. Des salariés soulagés sur le moment, mais non accompagnés sur la durée. Et un système où la confusion des rôles affaiblit la réponse globale.
Ce qu’on est en droit d’attendre des RH
Alors que peut-on — et doit-on — attendre d’un service RH ?
Voici ce que plusieurs experts s’accordent à définir comme socle légitime :
Créer les conditions d’un dialogue de qualité (temps d’échange, espace sécurisé, confidentialité)
Orienter vers les bons relais en cas de situation complexe (psychologue du travail, médecine, ligne externe, coaching ciblé)
S’assurer de la clarté des rôles et de l’organisation, car nombre de souffrances naissent de zones de flou structurel
Ne pas se substituer au soin, ni occuper une place de soutien psychique qu’ils ne peuvent tenir
La prévention ne consiste pas à tout absorber. Elle consiste à réguler, à anticiper, à mettre en lien. Le soin, lui, appartient à d’autres champs d’intervention — qui doivent être reconnus, financés, intégrés à la culture d’entreprise.
Un sujet RH, oui. Mais pas une fonction thérapeutique.
La santé mentale au travail est, aujourd’hui, un sujet RH. C’est indéniable.Mais cela ne signifie pas que les RH soient responsables de la régulation émotionnelle de tous, ni qu’ils doivent incarner des figures d’écoute sans limites.
Ce glissement est d’autant plus dangereux qu’il est silencieux.Peu remis en question, il repose sur l’implicite et l’épuisement.
Il est temps de clarifier les fonctions, de tracer les frontières, non pour se désengager, mais pour agir plus justement. Parce qu’un RH en position d’équilibre est un RH qui peut agir, décider, orienter — sans confusion, sans surcharge, sans illusion.
Et c’est toute l’entreprise qui, à terme, en sort renforcée.
Sources de l’article
ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). (2022). Les rôles de chacun dans la prévention des risques psychosociaux. Disponible sur : www.anact.fr
Empreinte Humaine. (2024). Baromètre de la santé psychologique des salariés français – Édition 2024. Disponible sur : www.empreintehumaine.com
INRS (Institut national de recherche et de sécurité). (2023). Fiche pratique : missions du service RH face aux RPS. Disponible sur : www.inrs.fr
Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. (2018). Rapport Lecocq – Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée. Disponible sur : travail-emploi.gouv.fr
ANDRH (Association nationale des DRH). (2023). Santé mentale en entreprise : quelle place pour les RH ? [Webinaire, synthèse et avis de praticiens]. Disponible sur : www.andrh.fr
SFPT-O (Société française de psychologie du travail et de l’orientation). (2022). Note de position sur les rôles de la fonction RH dans la régulation du travail et de la souffrance psychique. [Document interne – citations indirectes]
Le Monde / France Inter / Psychologies Magazine. (2022–2023). Témoignages croisés de responsables RH confrontés à la souffrance psychique des salariés. Recherches presse disponibles sur : www.lemonde.fr, www.franceinter.fr, www.psychologies.com
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