L'art de la déconnexion
- Joanna Haouzi
- 16 juin
- 4 min de lecture

Ou comment retrouver, à l’ombre du figuier, un peu de présence à soi...
Il est des silences qui ne disent rien, et d’autres qui font tout entendre. Des silences pleins, habités, qui ne sont pas l’absence de bruit, mais le retrait du superflu. Des silences que l’on reconnaît lorsqu’on quitte enfin la surface, que le téléphone reste dans une autre pièce, que la voix intérieure cesse de faire la comptabilité du jour à venir.
Déconnecter, dans un monde qui exige de nous une attention ininterrompue, n’a plus rien d’un geste secondaire. C’est une forme de résistance douce, un art à cultiver lentement et peut-être même une éthique. Ce n’est pas couper ; c’est apprendre à se recadrer. Ce n’est pas renoncer ; c’est prendre le temps de redéfinir ce à quoi l’on dit vraiment oui.
L’éloge lent d’un certain sud
J’aimerais, pour commencer, vous emmener dans un lieu. Non pas un ailleurs lointain, mais un lieu intérieur qui se réveille parfois au contact d’un paysage. Ce lieu, je l’ai retrouvé en Provence, un été, quand les pierres restituent la chaleur même après le départ du soleil, que le temps n’est plus rythmé par des alertes, mais par le chant des grillons, les fenêtres mi-closes, l’ombre d’un figuier qui s’allonge sur les tuiles.
Ce sud-là n’a rien d’une carte postale. Il enseigne, à sa manière. Il dit qu’il est possible de vivre sans courir. Qu’un après-midi ne vaut pas moins parce qu’il ne produit rien de visible. Qu’un corps peut s’étendre sans se justifier. Il raconte que la pensée, comme les oliviers, pousse mieux quand on la laisse respirer.
Et dans cet art discret du farniente, il y a quelque chose que notre modernité hyperconnectée a peut-être oublié : la valeur du vide, la densité du rien, l’espace entre deux intentions.
Ce que les neurosciences nous apprennent du relâchement
Au-delà de cette sensation, qui relève autant de la peau que du mental, la science confirme ce que le corps perçoit confusément : notre cerveau, pour fonctionner pleinement, a besoin de plages de retrait.
Lorsque nous ne sommes engagés dans aucune tâche précise, un réseau neuronal particulier s’active : le default mode network. Longtemps considéré comme un état passif, il est aujourd’hui reconnu comme une phase indispensable à la consolidation des apprentissages, à l’intégration émotionnelle, à la créativité.
C’est dans cet état que nous rêvassons, que nous recomposons des souvenirs, que nous laissons advenir des connexions inattendues — en un mot, que nous nous recomposons intérieurement.
Inversement, l’hyperconnectivité, en maintenant notre attention en état de tension continue, épuise notre mémoire de travail, altère notre capacité de décision et favorise l’irritabilité. L’amygdale, centre cérébral de la peur et du stress, s’active alors de manière chronique. Il devient difficile de trier, d’ordonner, de ralentir, et donc de choisir autrement que dans l’urgence.
Déconnecter, ce n’est pas ralentir pour mieux repartir : c’est ralentir pour pouvoir penser autrement.
Pratiques non spectaculaires, mais profondément transformatrices
Il ne s’agit pas ici de promouvoir une fuite numérique ou une ascèse technologique mais de retrouver, dans le quotidien le plus banal, des gestes simples qui offrent au mental une respiration, une lumière, une pause.
Savoir refermer : un ordinateur, un onglet, une conversation. L’acte de fermer est devenu presque contre-culturel, tant nous avons appris à accumuler. Or c’est dans le vide que l’on retrouve l’élan.
Écrire à la main : non pour se replonger dans une nostalgie analogique, mais parce que l’écriture manuelle engage le corps, ralentit la pensée, oblige à faire un choix. Elle est un acte qui oblige à la présence.
S’ennuyer sans honte : cette capacité à rester quelques minutes sans contenu extérieur, sans stimulation, est le début d’un réajustement. L’ennui est souvent le sas entre l’agitation et la créativité.
Annoncer sa déconnexion : prévenir que l’on ne répondra pas immédiatement, que l’on sera absent à certaines heures, crée un cadre — et soulage la charge mentale d’avoir à s’excuser.
S’autoriser à ne pas tout capter : à ne pas suivre, à ne pas savoir tout de suite. L’attention est précieuse, elle ne se dilue pas sans perte.
Déconnecter : une écologie intérieure
Déconnecter n’est pas renoncer au monde. C’est lui répondre autrement, c’est consentir à l’idée que notre présence ne se mesure pas à notre temps de réponse, ni à notre disponibilité constante, mais à la qualité de notre engagement.
C’est réapprendre que l’on peut penser plus juste, parler plus clairement, créer plus intensément, si l’on s’est d’abord accordé la permission de ne rien produire.
Et c’est peut-être, dans un monde saturé, le début d’une autre forme d’influence : plus silencieuse, mais plus durable.
Sources de l’article
Raichle, M. E. et al. (2001). A default mode of brain function. PNAS.
Andrews-Hanna, J. R. et al. (2014). The default network and self-generated thought. Nature Reviews.
Matthew Walker (2017). Why We Sleep. Penguin.
Daniel Kahneman (2011). Thinking, Fast and Slow.
CNRS Le Journal (2023). Pourquoi notre cerveau a besoin de déconnexion.
Santé publique France (2023). Études sur la surcharge cognitive et les effets de l’hyperconnectivité.
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